lundi 31 janvier 2011

L'usure des régimes arabes.

Je faisais lire à mes étudiants la session dernière un chapitre du livre de Georges Corm, Le Proche-Orient éclaté, intitulé «L'usure des régimes arabes».

Je ne veux pas me présenter comme plus perspicace que je le suis réellement, mais il me semble en effet que cette lecture était bien choisie : Corm y brosse un portrait dévastateur en ce qui concerne l'échec des élites en place à répondre aux besoins et aspirations de leurs propres sociétés. Il élabore sur les principales caractéristiques de ces régimes : autoritarisme et omniprésence de l'armée; bénéfices et rentes des marchés d'États au profit de l'élite politico-militaire; ouverture politique limitée combinée à un analphabétisme criant et à une absence quasi-totale de répartition de la richesse.

L'étincelle tunisienne aura suffit à embraser toute une région. Il faut maintenant observer vers quoi les «révolutions» en marche mèneront, mais jusqu'ici, tous les espoirs sont permis.

dimanche 30 janvier 2011

vendredi 28 janvier 2011

Maroc 2011 : photos (1)

Voici LE LIEN pour voir le 1er rouleau de mes photos du Maroc - 2011.

Retour en arrière...

Voici ce que je proposais comme réflexion à propos du régime de Mohammed VI l'an dernier à pareille date :
CLIQUEZ ICI.
Ça demeure pertinent à mon avis. À combiner avec mes derniers écrits, où l'impression d'un rôle positif joué par le Roi du Maroc est davantage soulignée.

Mohammed El-Baradeï : l'espoir.


L'ex-directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique et Prix Nobel de la paix 2005, Mohammed El-Baradeï, rentre en Égypte pour appuyer le mouvement de contestation du régime d'Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981. Voilà une personnalité crédible, peut-être capable de faire concurrence aux Frères Musulmans, la principale force d'opposition en Égypte.

Suggérons-lui d'intégrer la frange la plus modérée de l'islam politique au sein de sa coalition (peut-être devrait-il regarder l'expérience marocaine...), sans quoi il ne favorisera que la victoire des islamistes. Le régime Moubarak vient de faire un «shut down» du réseau internet sur le pays... Tiendra-t-il ?

mercredi 26 janvier 2011

À propos de la dictature marocaine.

Patrick Lagacé parle de la dictature marocaine ce matin dans La Presse. Il a raison, le régime marocain est encore un régime autoritaire. Mais il a tort lorsqu'il assimile ce régime aux autres dictatures de la région. D'abord parce que le Maroc est en réel processus de libéralisation. Pas une réelle démocratisation, mais une libéralisation.

Depuis la fin du régime de Hassan II, le père de l'actuel Roi Mohammed VI, le régime a procédé à une reconnaissance de ses propres dérives en créant la Commission Vérité et Réconciliation. C'est une expérience unique de réhabilitation des anciens dissidents, un processus de réparation des crimes commis à l'intérieur d'un même régime. (L'expérience sud-africaine est différente puisqu'elle a été mise en place lors d'un changement de régime...).

Le Maroc a donc procédé à une autocritique et celle-ci se poursuit. Bien sûr, les réflexes autoritaires du régime demeurent : emprisonnements et poursuites dissuasives contre des médias accusés de porter atteinte à la personne du Roi ou à l'unité du pays, impunité relative des autorités qui commettent des abus de pouvoir, etc. Mais il reste que la diversité de la presse existe, que des médias comme Maroc Hebdo, Nichane (et Tel Quel) en plus de tous les journaux affiliés aux nombreux partis politiques (plus de 30 !) continuent de repousser les frontières de l'autoritarisme et les tabous qui existent encore...

Donc, au-delà de l'autoritarisme du régime qui persiste mais qui se desserre, ce qui guette le Maroc et menace encore plus son processus de démocratisation, c'est une forme d'auto-censure intégrée de la part de la population et de ses élites, auto-censure qui s'explique sans doute par l'expérience historique d'un régime de fer (on a parlé des années de plomb pour décrire la dictature de Hassan II) et la persistance d'une culture politique de déférence à l'égard de l'Autorité de Sa Majesté le Roi (figure religieuse et politique).

La devise du Maroc est : «Dieu, la patrie, le Roi». Ces trois sujets sont tabous au pays, ils ne peuvent être abordés qu'avec des pincettes. Mais ces tabous sont de plus en plus repoussés par divers acteurs politiques, médiatiques et sociaux. On discute même dans certains milieux (surtout à gauche), de la nécessité de distinguer davantage la fonction religieuse du Roi de sa fonction politique. Le Parti du Progrès et du socialisme (PPS), qui participe au gouvernement en détenant plusieurs ministères, propose à cet effet une réforme constitutionnelle qui diminuerait les prérogatives du Roi au profit du Parlement et du gouvernement...


Et pour avoir rencontré la Ministre de la famille et de la solidarité sociale, Nouzha Skalli, je peux vous dire qu'une femme d'une si grande qualité ne ferait pas partie d'un gouvernement si celui-ci n'était que despotique et fermé aux aspirations de sa population. Mme Skalli, ex-militante communiste et féministe de la première heure, demeure convaincue du rôle positif que joue le Roi pour son pays actuellement. Bien sûr, elle trouve que les choses ne vont pas assez vite, que des compromis parfois frustrants doivent être faits avec les autres courants politiques présents au pays, mais elle préfère agir de l'intérieur et croit que son action fait réellement la différence.

Après l'avoir rencontré lors de mes deux derniers voyages au Maroc, j'en suis aussi convaincu.

mardi 25 janvier 2011

Le Maroc comme rempart contre l'islamisme.

J'ai parlé précédemment et à plusieurs reprises de la montée de l'islamisme dans le monde arabo-musulman, observable particulièrement depuis les années 1970, suite au déclin du nationalisme arabe si prestigieusement incarné par la figure historique de Gamal Abdel Nasser, cet «officier libre» qui a renversé la Monarchie égyptienne en 1952 pour instaurer une République, nationaliser la zone de Suez, électrifier les campagnes et émanciper «la nation arabe» du colonialisme européen et de la «fracture» (géographique et civilisationnelle) constituée par la création de l'État d'Israël.

Nasser

L'islamisme aurait donc construit son expansion sur le déclin du nationalisme arabe et sur l'échec de ses promesses. (La révolution du jasmin qui vient de se produire en Tunisie ne serait que le prolongement du déclin du nationalisme «républicain» évoqué ici).

Mais il serait fautif de faire émerger l'idéologie islamiste sur le seul déclin du nationalisme. Le mouvement fondateur de cette recherche de renouveau au sein de l'Islam est les Frères musulmans. Ce mouvement a été fondé par Hassan Al-Bana en 1928 au Caire en Egypte. Il demeure à ce jour l'un des mouvements les plus puissants dans le monde arabe et il a inspiré le fonctionnement du Hamas en Palestine, du Hezbollah au Liban et de toutes une série de mouvements sociaux et partis politiques, comme d'écoles théologiques, certaines modérées, d'autres radicales et favorisant un Jihad violent contre ceux qu'ils qualifient d'ennemis de l'Islam.

Il importe donc de distinguer :

1- les courants modérés de l'islamisme qui cherchent, comme plusieurs courants fondamentalistes chrétiens, à introduire leur conception religieuse dans la vie commune tout en entretenant un dialogue avec les autres règles et normes, celles de la culture des Droits de l'Homme par exemple, souvent en acceptant même la prépondérance des lois civiles sur les religieuses. On retrouve aux USA plusieurs groupes chrétiens évangélistes qui ont investi le champ social depuis longtemps, palliant aux insuffisances des services publics. Les Frères musulmans ont fait de même en Égypte, répandre leur conception de l'Islam tout en ayant une fonction sociale : construire des écoles, contribuer à organiser la société civile en favorisant la création de syndicats, etc.

2- les courants radicaux de l'islamisme qui cherchent à lutter contre l'Occident qui répand ses valeurs destructrices et contre les élites locales qui se sont éloignées de leur conception réinterprétée du Coran. (Il faut lire Gilles Kepel et Olivier Roy, deux islamologues français pour connaître quelques assises sur lesquelles je me fonde ici. Et pour saisir la complexité et la diversité de l'Islam, lire Islam et laïcité de Abdou Filali Ansary, Le Fennec, Casablanca, 2010)

Ce qui inquiète en ce moment dans la montée de l'islamisme, c'est que le courant radical (le 2) semble devenir la principale force d'opposition dans plusieurs pays : Arabie saoudite, Syrie, Irak, Jordanie, Égypte, Libye, Tunisie (?), Algérie... Tous ces pays ont vu croître en leur sein un islamisme salafiste qui cherche à perpétuer l'infériorité des femmes, repousser l'influence occidentale avec mépris et violence, et généralement renverser le pouvoir en place pour instaurer un Califat politico-religieux au service de l'Oumma, la Communauté des croyants. Cette conception radicale de l'Islam met la priorité sur le principe d'obéissance (la Ta'a) par rapport au principe de consultation (la Shura), tous deux pourtant essentiels et non-priorisés dans le Coran en ce qui concerne les règles de la vie en communauté.

L'islamisme radical que l'on vient de décrire risque dangereusement de prendre le pouvoir en Arabie saoudite, au Yémen, en Syrie, en Irak, en Égypte, en Algérie et en Tunisie... La raison réside dans les sentiments de colère des populations de ces pays face à l'indigence morale, la corruption, l'autoritarisme et la gabegie des autorités en place. Les mouvances islamistes ont su récupérer cette colère en investissant le champs social, puis politique. Le Hamas en Palestine s'est construit comme cela. Le Hezbollah au Liban, bien que chiite et financé par l'Iran, a construit sa légitimité de la même manière, en prenant en charge les populations paupérisées et délaissées du Sud-Liban et de West-Beyrouth... Quel pays du Maghreb ou du Machreck sera la prochaine victime ?

J'ai au moins l'impression que ce ne peut être le Maroc. Pour plusieurs raisons, entre autres parce que l'Islam marocain est sans doute l'Islam qui a les racines de tolérance et de dialogue inter-civilisationnel les plus profondes et les plus solides. C'est l'Islam de Cordoue, d'où les Juifs et les Musulmans ont été chassés lors de la Reconquista en 1492... C'est l'Islam des populations berbérophones, qui ont toujours été enclines à séparer les règles politiques et religieuses. C'est aussi une Monarchie dirigée par un Commandeur des Croyants propre au Maroc, ce qui permet au pays de mieux lutter contre les ambitions hégémoniques de l'Égypte ou de l'Arabie saoudite, deux puissances culturelles dans le monde arabo-musulman et qui ont directement contribué à l'expansion de l'islamisme comme idéologie.

Voilà donc l'ironie : le Maroc, un pays où les pouvoirs religieux et politiques sont incarnés par la même personne, réussit mieux à lutter contre l'islamisme radical que ces «républiques» arabes qui ne cessent de faire des compromis avec les mouvances radicales en réislamisant leurs systèmes politiques...

Une autre raison qui peut expliquer pourquoi le Maroc peut devenir un étendard (ou même un rempart) contre l'islamisme radical réside dans la stratégie mise en place par le régime. Les partis islamistes (le Parti Justice et développement - PJD - est la 2e force politique en importance au Parlement et il est affilié à des journaux et des mouvements sociaux...) sont aurtorisés s'ils acceptent de débattre sous l'autorité du Roi... Ils ont finit par exemple par accepter le nouveau code de la famille (la Moudawana) adopté en 2004 qui octroyait beaucoup plus de droits à la femme...

Les mouvements islamistes marocains qui réclament le renversement de la Monarchie, qui menacent l'ordre et la sécurité sont fortement réprimés. Les autres pays arabes ont tous cherchés à bénéficier de l'appui des USA en réprimant fortement tous les courants islamistes. Le Maroc a plutôt décidé d'intégrer ses mouvances les plus modérées et de briser les mouvances radicales. Pour ce faire, le Roi Mohammed VI a fondé l'Arrabeta Mohammedia des Oulémas qui a pour fonction de former les Imams dans les différentes Mosquées du pays, limitant ainsi la prolifération des imams radicaux (sous influence saoudienne ou autres...). L'Arrabeta des Oulémas développe également un discours sur la lutte aux ITS, particulièrement le Sida. Elle est même sur ce point plus avancée que l'Église catholique, n'hésitant pas à faire la promotion et la distribution de condoms en partenariat avec des organisations de la société civile...

Voilà donc quelques raisons qui expliquent pourquoi le Maroc est peu enclin à subir les contrecoups de la révolution tunisienne ou pire, à voir émerger sur son sol un islamisme radical qui remplacerait le régime en place. Alors qu'ailleurs, c'est une autre histoire...

lundi 24 janvier 2011

Le retour d'un Président.

La tragédie de Tucson où un tireur fou a tiré sur une représentante démocrate et tué plusieurs citoyens qui assistaient à une assemblée publique (du type Town hall meetings) dans un centre commercial a permis au Président Obama de livrer un de ses meilleurs discours depuis le début de sa présidence.

À 23:55 du vidéo ci-bas, Obama évoque les victimes et le fait qu'une tragédie comme celle-ci devrait servir à unifier le pays et non à le diviser. Puis, il semble diriger à mots couverts une critique à l'égard du mouvement Tea Party et de ses relais médiatiques qui ont créé une atmosphère dangereuse en identifiant comme anti-américains ceux qui ne sont pas en accord avec leur credo ultra-conservateur. Il en appelle alors à un retour du civisme dans le discours public et au fait que le pays se doit d'être à la hauteur des aspirations de ses enfants. On reconnaît dans ce discours ce qui a fait la figure d'Obama : un homme réfléchi, en phase avec ce qu'il y a de meilleur dans les valeurs américaines de délibération collective et de self-government...

Le tribun est de retour !

dimanche 23 janvier 2011

La secousse tunisienne face à la stabilité marocaine.

Je reviens tout juste du Maroc où j'ai pu encore une fois constaté que le leadership du Roi Mohammed VI est fort apprécié, du moins pour le moment. C'est pendant mon séjour là-bas que la «révolution» tunisienne a réussi à renverser le Président Ben Ali, au pouvoir depuis 23 ans.

Il y avait quelque chose de fort intéressant à discuter de cet événement avec le citoyen marocain. D'abord pcq les Marocains ont longtemps considéré que les Tunisiens étaient les «faiblards» du monde arabe; incapables qu'ils étaient selon eux de se mobiliser collectivement et d'être à la hauteur de leurs discours... Or, voilà que c'est en Tunisie que les secousses politico-sismiques les plus fortes depuis fort longtemps dans la région ont commencé. Et ce sont toutes les Républiques arabes de la région, particulièrement l'Algérie et l'Égypte qui risquent de subir les contrecoups d'une telle révolte populaire... Ensuite pcq la plupart des commerçants avec lesquels j'ai jasé de la situation disaient qu'une telle révolte n'était pas envisageable au Maroc actuellement. La Monarchie marocaine semble fort appréciée puisque le Roi est perçu comme un acteur positif, principal responsable des changements sociaux et politiques des 10 dernières années.

Pourtant, les problèmes endémiques du monde arabe se retrouvent aussi au Maroc : omniprésence de la police et de l'armée, corruption et inégalités sociales criantes, marché de l'emploi obstrué même pour les jeunes diplômés, etc. Mais ce qui s'est passé en Tunisie et qui risque de se répercuter ailleurs dans la région, c'est que les promesses «républicaines» (Algérie, Égypte, Libye, Tunisie sont des républiques alors que le Maroc est une Monarchie où le Roi demeure la principale figure politique et religieuse) d'une croissance qui profitera à tous et de régimes qui servent de remparts à l'obscurantisme islamiste se sont avérées mensongères et ont plutôt donné place à des régimes autoritaires et bloqués sur les plans politiques, sans réussir à freiner la montée du fondamentalisme religieux...

Encore une fois, sans idéaliser le règne de Mohammed VI, on peut croire que de tels chamboulements inaugurés par la société civile en Tunisie, donc par le bas, n'atteindront pas le Maroc. En effet, au Maroc, c'est «par le haut», à l'initiative même du Roi que les libertés politiques sont en ascension et que les conditions de vie pour le plus grand nombre commencent à se bonifier: l'accès à l'électricité et à l'eau s'améliorent grandement, la lutte à l'analphabétisme fait des pas de géants, la situation de la femme et des populations berbérophones (Amazigh) sont aussi en constante progression... Bref, le Roi du Maroc est perçu comme un acteur de changement social alors que les Présidents des Républiques arabes sus-mentionnées sont perçus comme des freins aux aspirations de leur propre société civile.

Nous reviendrons sous peu sur la question de la montée de l'islamisme dans le monde arabe, cette idéologie radicale qui se présente trop souvent comme la principale alternative à l'autoritarisme et à la corruption qui sévissent dans l'ensemble de la région. Car là encore, l'expérience marocaine des dernières années pourrait servir d'exemple et de rempart efficace contre le retour en arrière que proposent les différents courants islamistes salafistes (le salafisme évoque un «retour aux anciens», voire aux origines de l'Islam, considéré comme dévié par la pression occidentale et la sédition des élites locales).

D'ici là, je reprends contact avec les miens.