mardi 25 janvier 2011

Le Maroc comme rempart contre l'islamisme.

J'ai parlé précédemment et à plusieurs reprises de la montée de l'islamisme dans le monde arabo-musulman, observable particulièrement depuis les années 1970, suite au déclin du nationalisme arabe si prestigieusement incarné par la figure historique de Gamal Abdel Nasser, cet «officier libre» qui a renversé la Monarchie égyptienne en 1952 pour instaurer une République, nationaliser la zone de Suez, électrifier les campagnes et émanciper «la nation arabe» du colonialisme européen et de la «fracture» (géographique et civilisationnelle) constituée par la création de l'État d'Israël.

Nasser

L'islamisme aurait donc construit son expansion sur le déclin du nationalisme arabe et sur l'échec de ses promesses. (La révolution du jasmin qui vient de se produire en Tunisie ne serait que le prolongement du déclin du nationalisme «républicain» évoqué ici).

Mais il serait fautif de faire émerger l'idéologie islamiste sur le seul déclin du nationalisme. Le mouvement fondateur de cette recherche de renouveau au sein de l'Islam est les Frères musulmans. Ce mouvement a été fondé par Hassan Al-Bana en 1928 au Caire en Egypte. Il demeure à ce jour l'un des mouvements les plus puissants dans le monde arabe et il a inspiré le fonctionnement du Hamas en Palestine, du Hezbollah au Liban et de toutes une série de mouvements sociaux et partis politiques, comme d'écoles théologiques, certaines modérées, d'autres radicales et favorisant un Jihad violent contre ceux qu'ils qualifient d'ennemis de l'Islam.

Il importe donc de distinguer :

1- les courants modérés de l'islamisme qui cherchent, comme plusieurs courants fondamentalistes chrétiens, à introduire leur conception religieuse dans la vie commune tout en entretenant un dialogue avec les autres règles et normes, celles de la culture des Droits de l'Homme par exemple, souvent en acceptant même la prépondérance des lois civiles sur les religieuses. On retrouve aux USA plusieurs groupes chrétiens évangélistes qui ont investi le champ social depuis longtemps, palliant aux insuffisances des services publics. Les Frères musulmans ont fait de même en Égypte, répandre leur conception de l'Islam tout en ayant une fonction sociale : construire des écoles, contribuer à organiser la société civile en favorisant la création de syndicats, etc.

2- les courants radicaux de l'islamisme qui cherchent à lutter contre l'Occident qui répand ses valeurs destructrices et contre les élites locales qui se sont éloignées de leur conception réinterprétée du Coran. (Il faut lire Gilles Kepel et Olivier Roy, deux islamologues français pour connaître quelques assises sur lesquelles je me fonde ici. Et pour saisir la complexité et la diversité de l'Islam, lire Islam et laïcité de Abdou Filali Ansary, Le Fennec, Casablanca, 2010)

Ce qui inquiète en ce moment dans la montée de l'islamisme, c'est que le courant radical (le 2) semble devenir la principale force d'opposition dans plusieurs pays : Arabie saoudite, Syrie, Irak, Jordanie, Égypte, Libye, Tunisie (?), Algérie... Tous ces pays ont vu croître en leur sein un islamisme salafiste qui cherche à perpétuer l'infériorité des femmes, repousser l'influence occidentale avec mépris et violence, et généralement renverser le pouvoir en place pour instaurer un Califat politico-religieux au service de l'Oumma, la Communauté des croyants. Cette conception radicale de l'Islam met la priorité sur le principe d'obéissance (la Ta'a) par rapport au principe de consultation (la Shura), tous deux pourtant essentiels et non-priorisés dans le Coran en ce qui concerne les règles de la vie en communauté.

L'islamisme radical que l'on vient de décrire risque dangereusement de prendre le pouvoir en Arabie saoudite, au Yémen, en Syrie, en Irak, en Égypte, en Algérie et en Tunisie... La raison réside dans les sentiments de colère des populations de ces pays face à l'indigence morale, la corruption, l'autoritarisme et la gabegie des autorités en place. Les mouvances islamistes ont su récupérer cette colère en investissant le champs social, puis politique. Le Hamas en Palestine s'est construit comme cela. Le Hezbollah au Liban, bien que chiite et financé par l'Iran, a construit sa légitimité de la même manière, en prenant en charge les populations paupérisées et délaissées du Sud-Liban et de West-Beyrouth... Quel pays du Maghreb ou du Machreck sera la prochaine victime ?

J'ai au moins l'impression que ce ne peut être le Maroc. Pour plusieurs raisons, entre autres parce que l'Islam marocain est sans doute l'Islam qui a les racines de tolérance et de dialogue inter-civilisationnel les plus profondes et les plus solides. C'est l'Islam de Cordoue, d'où les Juifs et les Musulmans ont été chassés lors de la Reconquista en 1492... C'est l'Islam des populations berbérophones, qui ont toujours été enclines à séparer les règles politiques et religieuses. C'est aussi une Monarchie dirigée par un Commandeur des Croyants propre au Maroc, ce qui permet au pays de mieux lutter contre les ambitions hégémoniques de l'Égypte ou de l'Arabie saoudite, deux puissances culturelles dans le monde arabo-musulman et qui ont directement contribué à l'expansion de l'islamisme comme idéologie.

Voilà donc l'ironie : le Maroc, un pays où les pouvoirs religieux et politiques sont incarnés par la même personne, réussit mieux à lutter contre l'islamisme radical que ces «républiques» arabes qui ne cessent de faire des compromis avec les mouvances radicales en réislamisant leurs systèmes politiques...

Une autre raison qui peut expliquer pourquoi le Maroc peut devenir un étendard (ou même un rempart) contre l'islamisme radical réside dans la stratégie mise en place par le régime. Les partis islamistes (le Parti Justice et développement - PJD - est la 2e force politique en importance au Parlement et il est affilié à des journaux et des mouvements sociaux...) sont aurtorisés s'ils acceptent de débattre sous l'autorité du Roi... Ils ont finit par exemple par accepter le nouveau code de la famille (la Moudawana) adopté en 2004 qui octroyait beaucoup plus de droits à la femme...

Les mouvements islamistes marocains qui réclament le renversement de la Monarchie, qui menacent l'ordre et la sécurité sont fortement réprimés. Les autres pays arabes ont tous cherchés à bénéficier de l'appui des USA en réprimant fortement tous les courants islamistes. Le Maroc a plutôt décidé d'intégrer ses mouvances les plus modérées et de briser les mouvances radicales. Pour ce faire, le Roi Mohammed VI a fondé l'Arrabeta Mohammedia des Oulémas qui a pour fonction de former les Imams dans les différentes Mosquées du pays, limitant ainsi la prolifération des imams radicaux (sous influence saoudienne ou autres...). L'Arrabeta des Oulémas développe également un discours sur la lutte aux ITS, particulièrement le Sida. Elle est même sur ce point plus avancée que l'Église catholique, n'hésitant pas à faire la promotion et la distribution de condoms en partenariat avec des organisations de la société civile...

Voilà donc quelques raisons qui expliquent pourquoi le Maroc est peu enclin à subir les contrecoups de la révolution tunisienne ou pire, à voir émerger sur son sol un islamisme radical qui remplacerait le régime en place. Alors qu'ailleurs, c'est une autre histoire...

3 commentaires:

  1. Intéressant texte, bien recherché de toute évidence, que nous présente le Voisin. Je crois que la distinction que vous faites est très importante et qu'il faut garder un oeil attentif sur le pouvoir de plusieurs pays arabes susceptibles de subir de difficiles mois dans les temps prochains. Je pense ici à l'Algérie, à l'Égypte et peut-être à la Jordanie, bien que je doute que le roi Abdallah ne soit renversé de sitôt. Le Maroc, de son côté, demeure, je crois, un exemple pour ses voisins.
    Je crois aussi que l'histoire du Moyen-Orient sera très intéressante dans les années à venir, au Maghreb, au Machrek, en Perse et en Turquie, un pays fascinant qui gagne beaucoup en se rapprochant un peu de tout le monde ces derniers temps.
    Philippe

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  2. encore une fois, un excellent texte.
    Je l'ai lu et relu en pensant à ce jeune homme écrivant à son grand-père- un vieux de mon âge:
    " cher pépé, je t'écris lentement parce que je sais que tu ne lis pas vite. "
    bonne nuit.

    pepedamour

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  3. ta réaction à la chronique de P. Lagacé dans La Presse de ce matin .
    pepedamour

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