mardi 26 janvier 2010

Chronique marocaine - Le Roi Mohammed VI

photo : J-Félix Chénier - Tradition et modernité au Maroc
Pratiquement tout le monde au Maroc parle de la «transition démocratique» que vit le pays, particulièrement depuis l'arrivée au pouvoir de Mohammed VI, l'actuel Roi du Maroc, en 1999. Par ce terme, on cherche à illustrer l'extraordinaire libéralisation qui s'opère depuis la fin du règne de Hassan II (le père de M VI).
Cette «transition démocratique» se vérifie entre autres par :
  • une plus grande liberté de presse et d'expression : plusieurs journaux associés aux nombreux partis politiques perdurent, plusieurs médias dits «indépendants» existent, bref, il y a une grande diversité de médias en circulation, tant en français qu'en arabe et même en amazigh - langue berbère - depuis peu; 
  • une reconnaissance nouvelle de droits pour les femmes : le nouveau code de la famille adopté en 2004 se veut plus progressiste et rompt avec une tradition inégalitaire encore fortement ancrée dans les mentalités. Ce code reconnaît l'égalité dans le mariage, permet le divorce pour la femme, autorise l'octroit de la citoyenneté marocaine aux enfants nés de pères étrangers et de mères marocaines, toutes sortes de mesures auparavant réservées aux hommes...
Il faut dire que cette transition s'est amorcée dans la décennie 1990 sous Hassan II. Celui-ci a décidé de préparer sa succession en mettant fin aux «années de plomb» (c-à-d une dictature répressive et violente), en libérant des centaines de prisonniers politiques, en déclenchant une vaste Commission d'équité et de réconciliation pour élucider les nombreuses disparitions et reconnaître les innombrables exactions commises contre les dissidents du régime sous son propre règne... Mohammed VI n'a fait que confirmer et élargir cette ère de réformes avec une habilité étonnante. Il a entre autres mis en place plusieurs mesures pour reconnaître et valoriser la culture et la langue amazigh (berbère) : un Institut royal, des médias, l'enseignement de la lange dans les écoles...

Mais parallèlement à cette ouverture et à ces côtés disons «modernes» de la société marocaine, plusieurs facettes plus traditionnelles persistent, ce qui soulève des contrastes et d'apparentes contradictions :
  • Partout, on voit cohabiter de jeunes femmes modernes (et plutôt sexy) avec des femmes entièrement voilées (on ne voit ni leurs yeux ni leurs mains, gantées de noir !).  De jeunes garçons habillés de jeans côtoient également de jeunes barbus en Djellabah. Tous utilisent à profusion le téléphone cellulaire...
  • Et malgré le nouveau code de la famille, les mariages arrangés existent encore, les femmes sont encore sous-éduquées, sous représentées en politique (on a toutefois instauré des quotas récemment pour augmenter leur représentation) et largement confinées au foyer (on qualifie souvent la femme marocaine de «Reine du logis»)...
  • L'agriculture traditionnelle demeure dominante;
  • L'omniprésence de la religion est significative et les appels à la prière rythment toujours la vie du pays.
Donc, malgré la réelle «transition démocratique» amorcée, plusieurs signes témoignent de la persistance d'une société encore gouvernée par la tradition (le Roi est à la fois le chef politique et religieux). Le pays demeure donc un régime autoritaire fortement centralisé. Quelques exemples pour illustrer ceci :
  • Le Maroc est toujours frappé par 3 interdits
    • i- on ne peut discuter ou débattre sur la scène publique de la personne du Roi, ce qui engendre quelquefois des poursuites judiciaires et des condamnations contre des journaux, des journalistes ou caricaturistes. Ce 1er interdit débouche sans aucun doute sur une forte auto-censure de la part des journalistes puisque la ligne est parfois mince entre ce qui relève de la vie privée du Roi et ce qui concerne ses décisions politiques... En 2009, on a même interdit de publication un sondage - fort positif par ailleurs - sur la gouverne de Mohammed VI sous prétexte qu'on ne peut discuter de la personne du Roi...  La photo du Roi et de son père est littéralement partout, dans tous les commerces, sur les bords des autoroutes, etc. C'est à se demander s'il n'y a pas une contrainte envers ceux qui osent «oublier» d'afficher un tel hommage à la dynastie au pouvoir... En tout cas, le culte de la personnalité du Roi se porte assez bien merci et il continue de bénéficier de son aura de «Commandeur des croyants».
    • ii- On ne peut remettre en question le caractère musulman du pays; 
    • iii- L'unité territoriale du pays ne peut être débattue.
  • Les forces de sécurité sont omniprésentes. Partout sur le territoire, il y a des barrages policiers pour vérifier l'identité des individus et rappeler que l'ordre et la discipline règnent (il est d'ailleurs interdit de photographier les forces de l'ordre).
  • Le Roi procède depuis son entrée en fonction à une récupération extrêmement habile des divers courants d'opposition. Il gouverne par cooptation si on peut dire, en intégrant au sein de son gouvernement ou de son administration des anciens opposants, ce qui lui donne une légitimité incontestable et presqu'incontestée.
On se demande alors si cette belle diversité et cette libéralisation à laquelle nous assistons ne cache pas en même temps un néo-autoritarisme fort intelligent et habile...

Confusion entre politique et religion, culte de la personnalité du leader, ominiprésence policière, interdits et autocensure sont les ingrédients forts connus des régimes tyranniques. Le Maroc de Mohammed VI comprend ces caractéristiques, mais il présente également de nombreux signes d'ouverture démocratique et de libéralisation. Une sorte de régime autoritaire à visage humain....

2 commentaires:

  1. ce texte est une magnifique photo en couleurs de ce pays que je semble maintenant mieux connaitre.
    bravo
    pepedamour

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  2. Geneviève Guérin26 janvier 2010 à 13:09

    Il faudrait vérifier pour ce qui est de l'intégration de la langue amazigh dans l'enseignement. Car dans les faits, je ne suis pas certaine que se soit très répandu. Un guide m'a dit qu'il y avait effectivement un programme d'intégration de la langue amazigh dans des secteurs plutôt «arabophones», mais que les résultats n'avaient pas atteints les attentes escomptées et que le tout avait été abandonné.

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