vendredi 6 mai 2011

Harper, Tommy Douglas et George Grant...

J'ai parlé ici de la figure de Tommy Douglas, co-fondateur du NPD fédéral ainsi que de la figure centrale du conservatisme canadien George Grant...

Antoine Robitaille (voir Le Devoir de ce samedi) m'a poussé à porter plus loin ma réflexion sur ce que penserait George Grant du résultat des élections du 2 mai dernier...

Disons que Grant condamnerait sans doute le «Harperism», puisque Stephen Harper incarne effectivement une droite fortement américaine, donc il fait basculer le Canada dans l'américanisation encore plus que Mulroney avec le libre-échange ou que Diefenbaker avec son acceptation de missiles nucléaires américains sur le sol canadien...

Dans le fond, le NPD de 2011 incarne beaucoup plus clairement «la différence canadienne» que Grant cherchait à préserver et ce «nouveau» NPD n'est pas si à gauche que cela (Jack is hard on crime...)... Peut-être que George Grant aurait voté orange !?

En tout cas, l'idée du fédéralisme asymétrique promue par le NPD se rapproche peut-être du provincialisme que plusieurs courants conservateurs ont entretenu au Canada, dans l'ouest comme dans les maritimes... L'alliance modeste (c'est mon expression) entre le Québec et le ROC que l'on ressent à la lecture de Grant pourrait peut-être freiner l'américanisation du Canada... et c'est le NPD qui serait le plus proche de réaliser cet objectif !

Grant aurait-il voté pour son neveu Michael Ignatieff ? Ce dernier aurait peut-être bénéficié de la sympathie de son grand-oncle, mais son programme «centriste» l'aurait laissé pantois... Je ne crois pas que Grant aurait été favorable à la guerre d'Irak de 2003, comme l'ont été Ignatieff et Harper. Même chose à propos de leurs discours sur le Partenariat sur la sécurité et la prospérité - le PSP : Grant se serait inquiété de cet arrimage inconsidéré sur les USA pratiqué par l'élite canadienne.

Encore une fois, le NPD de 2011 est plus proche d'une politique étrangère proprement canadienne et non continentaliste... ce continentalisme que condamnait Grant. Bon, je ne veux pas faire de Grant un gauchiste, ni traiter le NPD de parti conservateur, mais...

Chose certaine, Grant se serait grandement inquiété des conservateurs de Harper puisqu'en plus de nous coller aux valeurs américaines, il menace le parlementarisme, autre différence marquante du Canada versus les USA. Le conservatisme, comme le régime parlementaire, reposent sur des coutumes et des conventions, donc cela exige des acteurs modérés qui ne défonceront pas les multiples règles imprécises de notre système, règles héritières de l'histoire et d'un respect envers les institutions... Harper n'est pas cet acteur modéré et respectueux...

Or, il y a une parenté possible (pas toujours évidente) entre un certain conservatisme, celui de Edmund Burke par exemple - que l'on pourrait rattacher à Grant par sa «dimension britannique», et une certaine gauche, celle de Tommy Douglas : La volonté de soutenir la communauté, de faire en sorte que celle-ci ait une réelle fonction sociale, la croyance qu'il y a qq chose de plus grand et que l'individu en fait partie...

C'est ce qui me fait dire que le conservatisme de Harper est américain, qu'il n'est pas proprement canadien. C'est plus un néo-conservatisme associé à une droite religieuse pas très différente de celle du Montana ou du sud-ouest états-unien...

J'en rajoute : à propos de la réforme du Sénat, le principe de l'élection des Sénateurs que Harper veut mettre en place, pas sûr que Grant serait d'accord avec cela... Il serait mélancolique d'une institution qui reconnaîssait l'importance de l'expérience et de l'indépendance d'une élite capable de s'inscrire dans une filiation... Cette primauté de l'expérience sur la stricte égalité que l'on retrouve au sein du Sénat actuel par son processus de nomination, Grant s'en ferait sans doute le défenseur.

La méfiance de l'idéologie conservatrice envers l'égalité démocratique disqualifie Harper de la pensée de Grant et de ses précurseurs de type britannique... «L'égalité numérique» d'un Sénat élu qualifiée ici d'égalité démocratique est valorisée par les conservateurs de Harper (cela se manifeste aussi par l'ajout de nouveaux sièges au détriment du Québec, en fonction du principe du Rep by pop...) Grant défenderait-il le Québec à propos de sa perte de poids à la Chambre des Communes ? Je n'irais pas jusque là, mais je suis porté à croire que oui, étant donné son soutien à l'existence de communautés et de traditions porteuses de sens pour éviter la dérive individualiste et technocratique venue des USA...

Et sur l'impôts des entreprises !? Je me dis que Grant, qui se méfiait des grandes corporations, serait plus que méfiant du gouvernement Harper... Décidément, George Grant voterait (peut-être) NPD aujourd'hui !

2 commentaires:

  1. Édifiant, ces comparaisons.
    Ça me rappelle une confrontation intéressante entre deux amis. L'un libéral et l'autre marxiste, tentant de découvrir ce qu'aurait pu penser Marx de la Kolyma et de Brejnev ou Locke du Viêt-Nam et de Nixon.
    Nous avions alors convenu de la futilité de telles manœuvres politiques.

    Et sérieusement, je crois que vous êtes la preuve que la stratégie de S. Harper fonctionne assez bien: passer pour un vulgaire technocrate inculte et s'attirer les foudres de intelligentsia de gauche.

    Heureusement pour le Canada, notre premier ministre a lu Burke, entre autres. Et il serait parfaitement capable de débattre avec vous de toutes les théories imaginables en sciences de l'esprit. C'est un homme à l'esprit fin et raffiné. Seulement il doit faire avec son temps et son électorat.

    Un conservateur qui vous veut du bien,

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  2. C'est dommage dans ce cas qu'un homme aussi raffiné connaisse si mal un dogme qu'il dit défendre et qui s'appelle "démocratie" dans la langue de Molière. Ses manières avec les journalistes me dégoûtent.

    Je doute aussi, bien que je n'ai jamais lu Burke, qu'il soit proposé dans ses écrits de mentir au parlement ou de ne pas communiquer le coût des projets sur lesquels les parlementaires doivent voter.

    Pourtant, c'est ce que votre raffiné premier ministre fait. Et c'est ridicule. J'aimerais bien débattre avec lui de tout ca.

    Philippe

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