Je repars bientôt pour trois semaines au Maroc, accompagnant des étudiants pour un stage d'étude.
Le Maroc est vraiment à la croisée des chemins dans le domaine politique. Il y a une réelle libéralisation des moeurs au pays, visible tant par la tenue vestimentaire que par la diversité de la presse. Mais celle-ci demeure mise à mal par un régime qui pratique encore un autoritarisme soft sur trois sujets : Dieu, la patrie, le Roi.
Et le paradoxe dans tout ça, c'est que même si on ne peut contester le Roi, et que cela freine la liberté d'expression, c'est la personne même du Roi qui favorise la «transiition démocratique» du pays. Sans Lui, le nouveau code de la famille adopté en 2004 et qui octroie un meilleur statut à la femme marocaine - l'un des meilleurs dans le monde arabe - sans Sa Majesté le Roi donc, ce code n'aurait pas été adopté... Le système économique se transforme aussi, l'État étant de moins en moins présent comme pourvoyeur d'emplois. Certaines privatisations (conduite des eaux) ont aussi eu lieu...
Le pays demeure pourtant fortement imprégné, par son rythme mais aussi par réelle conviction, de religiosité. Ceci dit sans aucune «hauteur» de ma part, bien au contraire. En ce temps des fêtes où toute la symbolique religieuse disparaît ici, j'ai l'impression que je retrouverai au Maroc pendant une période où il n'y a pas de Grandes fêtes religieuses, la beauté d'une société qui habite sa culture au quotidien, par une série de rituels significatifs et sentis pratiqués par tous, au sein d'une communauté encore liée, voire tissée serrée.
J'ai souvent l'impression que notre Révolution tranquille a coupé vite (trop sechèment sans doute) avec la culture religieuse, ce qui a affaibli «notre tonus moral» comme dirait Jacques Grand'Maison. C'est aussi là que le Roi du Maroc, Mohammed VI, devient une figure importante pour le pays : il est le Commandeur des croyants, il est donc ce gardien de la tradition religieuse capable de freiner «le désenchantement du monde» occasionné par une rupture trop radicale avec la culture religieuse.
Car disons-le, il y a un appauvrissement pour chacun lorsque l'on se prive de l'extraordinaire richesse de l'apport des religions : comment apprécier la beauté d'une église, d'une mosquée ou d'une synagogue si on ne connaît rien de la religion ? Je pense ici autant aux récits évoqués par chacune des religions du Livre (Judaïsme, Christianisme, Islam) qu'aux Arts en général tirés de cette inspiration sans borne qu'est Dieu ou la simple transcendance. Comment aimer la peinture ou la musique, sans une capacité minimale au recueillement, à la dévotion à l'égard de la Beauté ?
Au Maroc, cet éveil politique et culturel que l'on perçoit réellement - c'est pourquoi j'évoquais notre Révolution tranquille tout-à-l'heure, le Maroc est un pays de jeunes ! - cet éveil donc, se fait aussi grâce à l'appui populaire du Roi et à l'importance de ses pouvoirs. Et pour ces raisons, le pays ne balaiera pas de sitôt son héritage culturel religieux.
Entre la laïcité froide et le rigorisme religieux, l'espace qui se crée au Maroc est prometteur (il faut dire que l'islam marocain a toujours été un islam tolérant et «moderniste», c-à-dire ouvert à la science et au dialogue inter-religieux). Ce pays pourrait inspirer le reste du monde arabo-musulman, qui se cherche quelque peu après le déclin du nationalisme arabe et la montée de l'islamisme...
bon voyage et je te souhaite un(e)rejeton à ton retour
RépondreSupprimeryg
J'ai toujours trouvé que le Maroc offrait un exemple intéressant à suivre pour le Maghreb comme pour le Machrek. Une société qui, à une vitesse lente mais constante et assurée, se dirige dans une direction qui sait conjuguer religion, modernité et sérénité sociologique. Seul le cas du Sahara Occidental jette une ombre sur le tableau.
RépondreSupprimerBon voyage, Voisin. J'aimerais bien avoir des nouvelles sur ce voyage.
Philippe
j'ai toujours cru qu'un raciste était - généralement ou par définition - un ignorant.
RépondreSupprimerJe pose une question d'ignorant en prenant le risque de me faire passer pour un raciste:
les marocains qui vivent au Québec- de descendance juive ou musulmane- représentent-ils cette société dont parlent Le Voisin et Philippe ?
pepedamour
Très beau texte. Bon voyage!
RépondreSupprimerErik Boubou
Très d'accord avec ce que tu présentes, Jean-Félix. En particulier sur le caractère modéré, poli, ritualisé même des rapports entre les individus, peut-être même entre groupes sociaux.
RépondreSupprimerUn point à nuancer: la "liberté de presse" donne lieu à une unanimité de ton (langue de bois surprenante) et de contenu (autocongratulation) qui n'a rien à envier à un vrai régime autoritaire (la Tunisie?). Mais peut-être que ma perception est due au fait que j'étais là dernièrement durant un moment de grande mobilisation nationale contre l'Espagne (question saharaouie).
Frédéric
Effectivement, la question saharaouie touche à l'un des trois tabous évoqués dans mon texte : la patrie ! On ne peut remettre en question l'unité du pays sans subir les foudres de l'auorité.
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