mercredi 30 mars 2011

De quelques glissements inquiétants...

Plusieurs travers de la société contemporaine deviennent littéralement inquiétants dans le contexte de démobilisation et de désintérêt actuels à l'égard de la politique.

J'ai souvent discouru ici du «repli sur soi» qui caractérise l'ère moderne. Bien sûr, c'est devenu une sorte de lieu commun de critiquer cette dérive de l'individualisme qui fait que chacun est de plus en plus intéressé par son seul sort et que s'il s'intéresse à autrui, c'est parce que celui-ci peut apporter quelque chose à son bien-être personnel... La quintescence de cet individualisme intéressé est illustrée dans Facebook où les «relations» que l'on entretient avec nos «amis» ne servent qu'à magnifier le fait que nous existons en quelque part : ah tiens, j'ai un commentaire, telle personne «aime» ma photo, telle autre veut devenir mon ami...

Je ne veux pas critiquer Facebook en bloc (j'en suis) mais seulement illustrer que plus ça va, plus nos relations passent par ce médium, sans doute au détriment de relations tangibles, directes... Chose certaine, le temps passé là ne l'est pas ailleurs...

Revenons donc à ces dérives inquiétantes que j'évoquais. Le morcellement de l'espace public m'apparaît de plus en plus comme un problème pour le bon fonctionnment de la démocratie. Les gens ne lisent plus les grands journaux, ils délaissent progressivement le téléjournal et les médias traditionnels au profit de «médias de niches», plus spécialisés ou pire, essentiellement axés sur l'opinion. Le 1er impact de ce changement est que nous avons de moins en moins de références communes en ce qui concerne les informations en circulation et même le traitement de celles-ci. Or, en démocratie, il faut au moins que l'espace public ait des références communes pour que la délibération soit porteuse d'une décision rassembleuse...

Vous me voyez venir ? De moins en moins de discours commun, de plus en plus de réseaux parcellisés qui s'entretiennent entre eux... Tout ça a un impact délétère sur la qualité des débats publics et même sur la possibilité de construire une société, un «vivre-ensemble» comme on dit dans les salons de sociologues...

Et les conservateurs de Harper semblent jouer cette carte au maximum : ils développent un discours et des politiques que l'on pourrait qualifier de clientélistes, dans le seul but de récolter une majorité de sièges... Et ça marche ! Par exemple, ils ont opéré un virage (militant) pro-israélien en politique étrangère pour aller voler cette part de l'électorat aux libéraux; ils sont en train de conquérir le vote des communautés immigrantes de souches récentes avec leur hostilité envers le mariage gay et l'avortement; ils alimentent les tensions entre les régions et les villes-centres (ainsi qu'entre les banlieues et les villes) pour bénéficier de quelques victoires notoires leur permettant de devenir majoritaires... Tout ça au détriment de la cohésion sociale et de l'unité du pays (je me trouve drôle de parler de l'unité canadienne, mais bon, je considère de plus en plus que «nous» Québécois, sommes en fait les meilleurs Canadiens). Tout cela en tout cas, au détriment de la démocratie !

Car pour éviter la tyrannie, il faut qu'une société garde la possibilité de se mobiliser collectivement et de faire contrepoids aux gredins et despotes qui risquent de se présenter devant nous... Cette capacité de nous mobiliser et de nous rassembler existera-t-elle encore demain ?

7 commentaires:

  1. "Les gens ne lisent plus les grands journaux, ils délaissent progressivement le téléjournal et les médias traditionnels au profit de «médias de niches», plus spécialisés ou pire, essentiellement axés sur l'opinion". Le deuxieme impact est que çela ne fait qu'alimenter une vision...donc les gens ne voient pas les arguments de l'"autre côté" et renforce une idéologie.
    -winiarz

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  2. Très bon article Voisin. Il y a bel et bien un danger associé à tout ça. La question demeure: que faire pour arrêter ce qui semble inéluctable? Faudrait-il que l'état s'en mêle?
    Philippe

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  3. Excellent billet! Très pertinent le petit mot sur Facebook. Un article intéressant du Devoir à ce sujet : http://www.ledevoir.com/opinion/blogues/les-mutations-tranquilles/319808/facebook-rend-il-depressif

    L'astuce derrière les médias basés sur l'opinion, c'est que n'importe quel deux de pique peut écrire quelque chose qui semblera "intelligent". C'est la célébration et l'apogée de la démagogie par le peuple lui-même. À force d'endoctrinement ou du moins d'imbécilisation collective, le simple citoyen reprend fièrement le flambeau pour étayer et enrichir un message biaisé avec son "opinion". Pire encore, ça permet de faire taire les critiques pertinentes et éclairées au nom du sacro-saint droit à l'opinion personnelle et à une supposée équité inattaquable entre celles-ci.

    "Cette capacité de nous mobiliser et de nous rassembler existera-t-elle encore demain ? " La question qui tue! À mon humble avis, cette capacité est perdue (ah que je suis cynique!). Du moins très endormie. Endormie par une société de consommation et de "loisirs". Endormie à coup de pains et de jeux. C'est comme si tous les jours, la société décidait de "rester couchée" et de ne pas aller travailler, préférant le confort douillet d'un lit chaud à la réalité et aux défis quotidiens.

    En même temps, pour ceux qui veulent essayer de "changer quelque chose", il faut jouer la "game". Même en cherchant à s'impliquer politiquement pour défendre nos principes, on se heurtre à un mur (d'expérience personnelle). Dans les grands partis, c'est la ligne dure, l'importance de l'image et des résultats. Pour y arriver, pas d'hésitation à faire taire les dissidents et les expulser des rangs. D'un autre côté, dans les instances plus alternatives, on se retrouve à pelleter des nuages à journée longue et devoir dealer avec des personnalités extrêmes (et les conflits interpersonnels qui en découlent). Bref, il (me) semble difficile de trouver un milieu où l'on puisse avoir un effet concret sans pour autant obéir aveuglément à un gourou politique.

    /Fin de ce commentaire plus ou moins pertinent, mais toutefois fort libérateur./

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  4. Je demande simplement : que voulez-vous dire lorsque vous affirmez que les Québecois sont les meilleurs Canadiens?

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  5. Je dis cela un peu ironiquement, mais si vous lisez mon papier intitulé : Remember Tommy Douglas, vous remarquerez que la province de Québec est le seul endroit au pays où les conservateurs de Harper sont en difficulté ou en déclin... Considérant que le conservatisme de Harper menace en quelque sorte l'identité canadienne en la faisant se rapprocher du conservatisme des USA, je me dis que les Québécois sont devenus par défaut les derniers défenseurs de la différence canadienne vis-à-vis des USA... Rajoutez à cela que les Québécois, le Bloc inclus, sont souvent les seuls à réaffirmer l'importance de la décentralisation des pouvoirs au Canada, donc à affirmer l'importance du principe fédéral, et vous pouvez davantage comprendre mon point de vue...

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  6. Pour en rajouter sur le «circuit fermé» alimenté par Facebook, je viens d'apprendre que les paramètres par défaut du réseau ne publient que les «amis» avec lesquels on entretient des communications régulières... Il faut modifier ses paramètres pour avoir accès aux publications de tous...

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  7. Avec facebook,ne jamais oublier Etienne de la Boetie et son discours sur la servitude volontaire.Quant aux amis,j'essaie au maximum de faire des bbq grace au printemps sublime que nous avons avec eux;sinon aux autres amis plus lointains,je ne peux que mettre l'eau à la bouche.Hier par exemple bbq chez Christian dans la campagne:convivialité,calme,fleurs partout,oiseaux gazouillants,26°c,...Buccolique à l'extrême!
    Pascal!

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