J'attire votre attention sur un ouvrage dirigé par Miriam Fahmy et publié par L'INM: L'état du Québec 2011.
À sa lecture, on y comprend que malgré le projet inégalitaire que j'ai condamné à plusieurs reprises dans ce blogue, le Québec constitue une sorte de «village gaulois» de l'égalité en Amérique et même en Occident parce que plusieurs de ses politiques (progressivité relative des impôts et politiques sociales redistributives) diminuent de façon assez efficace (lorsque l'on se compare...) la grande pauvreté.
Ceci n'empêche pas de condamner le fait que la classe moyenne s'érode et que les plus riches d'entre les riches s'enrichissent... Ceci ne nous empêche pas de relever le fait que depuis les années 1980, le nombre de paliers d'imposition a chuté de 13 (!) au Québec, passant de 16 à 3. Pendant ce temps, les taxes et tarifs, qui affectent davantage les ménages à faibles revenus, ont augmenté. Et cette tendance s'accélère sous les libéraux de Jean Charest (frais de scolarité, taxe-santé uniforme, taxes de vente, etc.).
Le dossier monté par l'état du Québec 2011 ne fait que démontrer que nous réussissons mieux qu'ailleurs à freiner la croissance des inégalités...
Mais un type d'inégalité est peu abordé dans ce dossier par ailleurs fort intéressant. Il s'agit des inégalités intergénérationnelles. Pour plusieurs raisons, les prochaines générations vont clairement subir une dégradation de leurs conditions de vie par rapport aux générations précédentes. On dit même que le XXIe siècle serait le premier siècle de l'ère moderne où les conditions de vie des générations montantes seront moins bonnes que celles des générations qui les ont précédé. Comme si on assistait à une panne de l'ascenseur social...
La 1ère de ces raisons s'explique par la crise écologique. Les autres touchent aux changements démographiques et à certaines pratiques qui tardent à répondre aux défis posés par le vieillissement.
1- La crise écologique :
Lorsque l'on parle d'égalité intergénérationnelle, il me semble que la question environnementale surgit normalement. En effet, la notion (galvaudée par le «greenwashing» des conseillers en communication du gouvernement Charest) de développement durable implique «un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs...»
Or, notre actuel mode de développement économique engendre des crises à répétition, augmente les écarts de richesse et détruit notre planète. La gauche doit réarticuler sa vision du monde et tenir compte du fait que la croissance ne peut être sans fin. Il nous faut briser ce mythe de la croissance économique continue. Le monde dans lequel nous vivons est un monde fini. Notre planète n'a pas de capacités infinies. Longtemps, les sociaux-démocrates (et les keynésiens) ont privilégié un mode de développement qui suscitait (en stimulant la demande) la croissance économique pour ensuite mieux répartir la richesse ainsi créée... Nous ne pouvons plus agir dans ce paradigme qui est une fuite en avant.
Que faire ? Il nous faut repenser la croissance : détaxer le travail (diminuer les charges fiscales associées aux heures travaillées) et taxer les ressources naturelles épuisables. Bien sûr, pour limiter l'impact régressif de telles mesures sur les moins nantis, il faudra penser à des exemptions de base : en deçà d'une certaine consommation d'eau et d'électricité, le coût est abordable... Au-dessus de ce niveau de consommation, le tarif double !
Repenser la croissance implique aussi une «définanciarisation» de notre économie. Celle-ci doit se mettre au service de la création d'emploi et non au service d'une spéculation financière qui ne profite qu'à quelques-uns... Par exemple, Pourquoi ne pas proposer une exemption de taxe pour tous les produits «faits au Québec»? Ceci favoriserait directement la création d'emplois chez nous, ce qui diminuerait sans doute la nécessité de programmes de soutien et de subventions complexes aux divers secteurs de notre économie.
Le défi pour la gauche d'aujourd'hui est de penser à des solutions qui luttent pour une plus grande égalité intragénérationnelle (c'est le programme classique de la gauche, qui est toujours pertinent) tout en développant un programme pour l'égalité intergénérationnelle (que lèguerons-nous à nos enfants? Une dette publique astronomique, des fonds de pension insolvables et une planète où l'espace habitable est sans cesse comprimé par une raréfaction de l'eau, de l'air et de la nourriture???) Trop souvent, le discours de la gauche accuse ceux qui sont préoccupés par l'intergénérationnel d'être de droite...
2- Le vieillissement comme opportunité pour corriger les inégalités intergénérationnelles :
Pourtant, si un boomer prend sa retraite à 60 ans aujourd'hui, un problème d'iniquité intergénérationnelle se pose. Cette génération n'a pas suffisamment cotisé à son fonds de retraite par rapport à ce qu'elle en retirera... L'espérance de vie augmente, les coûts du système de santé aussi. Si quelqu'un se retire du marché du travail avant son temps, il me semble que l'on devrait exiger qu'il paye une taxe-santé annuelle pour pallier à l'augmentation des coûts du système et corriger cette inégalité intergénérationnelle... C'est dans cette optique qu'il nous faut repousser l'âge de la retraite. Il nous faut ajuster nos politiques du monde du travail à la réalité du vieillissement. L'espérance de vie s'est allongée, l'âge de la retraite doit bouger en conséquence. Tout cela peut se faire harmonieusement dans une logique de partage et de réduction du temps de travail avec les plus jeunes générations (ça tombe bien, celles-ci veulent davantage s'occuper de leurs jeunes enfants et bénéficier du transfert de connaissance des plus vieux...).
On voit donc que la situation précaire de notre planète, combinée aux impacts du vieillissement, exigent de repenser le combat pour l'égalité en mettant en exergue la question de l'égalité intergénérationnelle. Ceci m'amène à rectifier certaines positions tenues dans ce blogue précédemment.
En replongeant dans mes classiques de la philo politique (J.S. Mill, J. Rawls, R. Dworkin), je me suis dit que mes positions antérieures en ce qui a trait au financement de l'éducation méritaient d'être révisées. Puisque je m'inquiétais de la disparition de la rigueur, de l'assiduité et de l'effort à l'école, j'ai basculé quelques temps en faveur d'une augmentation significative des frais de scolarité, dans la mesure où l'accès à l'éducation supérieure demeurait universel (donc accompagné d'une aide financière aux études dirigée vers les moins nantis)...
Je change aujourd'hui d'idée et fait la promotion d'un panier de service universel et gratuit pour le citoyen, en santé et en éducation. Ceci n'empêcherait pas d'introduire une taxe à l'échec pour ceux qui passent 6 ans au Cégep par exemple ou d'imposer une taxe-santé pour ceux qui prennent leur retraite avant le terme, mais ceci assurerait un accès plus simple et plus direct aux biens de première nécessité ou à ce que l'on appelle quelques fois l'accès aux droits économiques et sociaux.
On voit donc qu'il nous faut dorénavant penser la recherche de l'égalité autant dans l'intra que dans l'intergénérationnel. Le défi consiste aussi à ne pas opposer ces deux nécessités et à trouver la complémentarité de ces objectifs.
Il m'apparaît que pour ce faire, il nous faut davantage soutenir le développement économique de notre province (notre nation!), donc «démondialiser» en quelque sorte, surtout dans le domaine de l'agriculture: une crise alimentaire mondiale est à nos portes, il nous faudra moins dépendre des autres pour nous nourrir !
Un autre exemple de cette convergence entre égalité intragénérationelle et intergénérationnelle touche à nos politiques d'urbanisme. L'étalement urbain coûte cher à notre société sur tous les plans :
- il gruge nos dernières terres agricoles,
- favorise l'augmentation des gaz à effets de serre,
- affaiblit le lien social et éloigne l'individu des différents réseaux et services (pas fort dans un contexte de vieillissement!)
- multiplie la nécessité de construire des infrastructures lourdes et dispendieuses que nous «léguons» aux autres générations et que nous faisons financer par ceux qui n'en profitent pas directement.
Qui en effet défraie les coûts des aqueducs, de l'électricité et des routes que l'on construit pour les nouvelles banlieues? Certainement pas les acheteurs de ces nouvelles maisons ! Il y a là un enjeu qui touche autant l'intra que l'intergénérationnel...
À ce titre, le Québec est loin d'être une société égalitaire et l'équilibre entre l'intra et l'intergénérationnel n'est pas atteint.
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