Je vous entretenais hier à propos du caractère fortement auto-référentiel des médias d'aujourd'hui... Le Devoir publie un article sur cette tendance d'un certain journalisme fortement axé sur l'émotion personnellement ressentie par l'auteur de l'article, tendance que l'on appelle emo-journalism aux États-Unis (contraction des mots émotions et journalisme)... Réjean Tremblay et Patrick Lagacé seraient nos émo-journalistes québécois, selon cet article...
Extraits :
«L'emo-journalism a d'abord désigné la couverture de l'ouragan Katrina, en 2005, par Anderson Cooper. Le reporter-vedette de CNN avait alors multiplié les déclarations d'émoi et de désarroi. Il en a rajouté en couvrant la tragédie haïtienne, où il a été beaucoup imité.
L'emo-journaliste ne dit pas simplement «j'ai vu ceci», en s'exprimant au «je», comme le voulait le new journalism des années 1960. Il ajoute: «j'ai ressenti ceci et cela», puis: «j'ai tremblé ici» et «j'ai pleuré là». Le reporter devient alors la nouvelle, au moins en partie. C'est moins la réalité que sa perception sentimentale et sa relation émotive au réel qui forme le sujet du reportage. Avant, au mieux, le sujet filtrait l'objet; maintenant, au pis, le sujet devient l'objet, le sujet et surtout son intimité, ses réactions, ses émotions, jusqu'au plus larmoyant, jusqu'au kitsch.
La professeure Brun souligne alors que le plus souvent la description suffit. «Le reportage fait appel à l'affectif, mais par la description», dit-elle en soulignant qu'elle a passé son dernier cours, avec ses étudiants, à analyser des textes de journaux québécois maîtrisant très bien cette technique d'écriture objectivante. «Le reporter ne s'y met pas du tout en scène comme dans l'emo-journalism. Il n'exprime pas ses propres émotions et, pourtant, chaque reportage est très émouvant. La plupart du temps, une bonne description des gestes, des expressions, des décors, suffit amplement. En Haïti, est-ce qu'un reporter doit dire qu'il se sent triste de voir 10 000 cadavres? Ils sont là et les décrire semble assez. Le journaliste est un témoin. S'il prend part à l'événement qu'il couvre, comment peut-il jouer son rôle?»
Cela dit et bien dit, Mme Brun établit des différences entre le reportage et la chronique, par exemple, la seconde permettant davantage de mise en scène de soi. «Dans une chronique, l'émotion au "je" a sa place, dit la professeure. Dans un reportage, il me semble essentiel de conserver une certaine distance, une neutralité. Il faut alors remettre en question le mélange des genres. Je me demande finalement à quel prix se fait ce glissement. Cette tendance à mélanger le reportage et l'émotion va-t-elle affecter la crédibilité du journalisme? En quoi, par exemple, est-ce si utile par rapport à l'essentiel, qui consiste à témoigner et à relayer l'information? »
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